QUAND LES PORTES NE PARLENT PLUS

Monotype à l'encre taille-douce, gesso et ciment sur papier

65 x 50 cm

Série débutée en 2020

Selon le philosophe et sociologue Georg Simmel, un mur est "muet" tandis qu'une porte "parle" car elle s'ouvre et se ferme. Elle dialogue avec les espaces. Dans le même esprit, cinquante ans après, l'anthropologue américain Edward T. Hall distingue deux catégories : les "espaces fixes" et les "espaces semi-fixes". Les premiers ne sont pas modifiables par l'être humain (ex: les murs) alors que les seconds le sont (ex: les portes). Edward T. Hall parle alors d'un "langage silencieux" entre ces deux espaces.

 

Une fois murée, la porte ne dépend plus de l'espace "semi-fixe" mais "fixe" et "muet". La porte est réduite au silence et demeure résolument fermée telles "les lèvres d'une bouche hostile à tout dialogue" selon les mots de Thierry Paquot.

 

Avec la série Quand les portes ne parlent plus, je m'intéresse à la relation qu'entretiennent les humains avec leurs espaces sociaux urbains et plus précisément à la dualité dialogue / silence que la porte d'une habitation une fois condamnée peut engendrer. Par ailleurs, j'oriente également mon propos sur la dimension mémorielle individuelle et/ou collective de ces lieux désormais inhabités, abandonnés et voués à demeurer en l'état ou bien à la destruction.

 

Enfin, je m’intéresse à la dimension liminale. En architecture, la liminalité peut se traduire métaphoriquement par le seuil, la porte, la fenêtre, la façade. Ni vraiment dedans, ni vraiment dehors. Néanmoins, pour exister, cet espace transitoire dialogue plus que ne s'oppose aux autres espaces. En revanche, que devient-il quand les portes et les fenêtres emmurées rompent le dialogue et imposent le silence ? Par ailleurs, les espaces domestiques ainsi condamnés perdent leur fonction d'usage, leur fonctionnalité spatiale mais aussi la nécessaire interrelation avec leurs occupants et autres groupes sociaux. A ce propos, Gaston Bachelard souligne que "Tout espace vraiment habité porte l’essence de la notion de maison"i. Ainsi, une maison inhabitée, abandonnée aux portes et aux fenêtres emmurées est-elle toujours une maison ? Ne pouvant ni entrer, ni sortir, la forme architecturale elle-même ne devient-elle pas liminaire au sein de son propre environnement spatial et social ? Entre lieu et non-lieu, la maison emmurée s'isole et se marginalise. Une discontinuité temporelle s'impose donc entre la forme architecturale tangible (dimension physique) et sa fonction d'usage désormais désuète (dimension conceptuelle). Ces deux dimensions interagissent simultanément.

 

 


STRATES

Acrylique, pastel, crayon, feutre et Posca sur toile

60 x 80 cm

2023

 

Jumelage - Résidence d'artiste 2022-2023

Cherbourg (Normandie)


CAPTURE

Encre de Chine, lavis sur papier

65 x 50 cm

Série débutée en 2019 

Je sélectionne des scènes de films de fiction dans lesquelles la porte et son seuil interviennent comme éléments narratifs, subjectifs et psychologiques prédominants. A partir de captures d'écran dont je conserve volontairement les bandes noires que je peins à l'encre de Chine, j'exploite la dimension physique et symbolique que la porte et son seuil induisent dans chaque scène en les interprétant graphiquement. Par ailleurs, j'explore également le sentiment d'inquiétante étrangeté naissant entre les protagonistes; visibles ou non.


ECOUMENE #1

Microgéographie de l'ordinaire

 

Jumelage - Résidence d'artiste 2022-2023

Cherbourg (Normandie)

Selon le Dictionnaire de l'Académie Francaise, l'étymologie du mot écoumène est emprunté au latin ecclésiastique oecumene, du grec oikoumenê, ce qui signifie "la terre habitée". 

 

En géographie, l’écoumène représente l’espace terrestre habité par les humains. 

 

Jamais hors sol, l'habitat ne peut s'affranchir de l'eau, de l'air et bien évidemment de la terre. Nécessairement, l'espace et l'habitat coexistent selon Peter Sloderdijk.

 

Néanmoins, l’habitat ne peut pas être considéré que d'un point de vue géographique mais également à travers le prisme de l'architecture, de l'urbanisme, de la philosophie, d ela sociologie, de l'anthropologie ou bien encore de l'ethnologie. De même, l’habitat ne peut pas être uniquement limité au bâti, au logis ; à la simple occupation de "machines à habiter" (Le Corbusier). L’habitat doit sortir de la simple définition utilitaire et fonctionnelle pour en dévoiler le poétique.

 

Dès lors, le terme habitat peut être remplacé par celui d’habiter.

 

L’habiter est un investissement physique et émotionnel dans un espace géographique dans lequel les humains évoluent, interagissent et laissent des traces, des empreintes de la vie quotidienne selon des "arts de faire" (Michel de Certeau, L'invention du quotidien). 

 

Selon Florent Hérouard, L’habiter suppose également une communication entre le dedans et le dehors, entre l’espace de vie (privé) et l’espace social (public) afin d’ "être au monde" selon les mots de Heidegger.

 

Comme le mentionne Mathis Stock, Le « être avec » l’espace et le « être dans » l’espace ou encore le « faire avec » l’espace prend alors toute sa dimension dans la notion de l’habiter. "L'humain habite en poète" (Holderlin).

 

Ce projet est née durant l’année scolaire 2022-2023, dans le cadre du programme « Jumelage - Résidence d’artiste » auquel j’ai participé sur invitation du lycée Alexis-de-Tocqueville à Cherbourg-en-Cotentin. La résidence s'est déroulée sur 8 moins, de novembre 2022 à juin 2023, durant laquelle j’ai exploré la notion de l’habiter à Cherbourg-en-Cotentin. Je me suis imprégné de sa spatialité, de son architecture et de son urbanisme, de ses acteur.rices qui la vivent au quotidien et qui interagissent avec elle. Le "être avec" l’espace, le "être dans" l’espace ou encore le "faire avec" l’espace ont été mon leitmotiv. 

 

Mon projet de résidence a été axé sur le triptyque Physique | Symbolique | Perception. A l’instar de Georges Pérec dans son ouvrage L’infra-ordinaire, je me suis aussi intéressé à l’endotique ; au quotidien, au banal, à l’habituel. Plus précisément, à ce qui est présent et/ou visible mais qui ne se regarde pas ou ne se regarde plus. Qui ne se voit pas ou ne se voit plus.

 

Trois classes ont été associées à cette résidence : 

- 1ère Bac Pro REMI (Réalisation d'Ensembles Mécaniques Industriels)

- 2nde Bac Pro AEPA (Animation Enfance - Personnes âgées)

- 1ère Générale en spécialité HGGSP / Géopolitique 

 


COEXISTENCE DES CONTRAIRES

Encre de Chine, lavis, peinture aérosol, acrylique, papier, bois, dispositif sonore

1000 x 200 cm
2018

Les frontières de l’intimité ne répondent-elles pas à une articulation des espaces et des temps, des passages, des sas, des espaces de transition, dans lesquels les personnes prennent la liberté d’en ouvrir ou d’en fermer la porte ? La porte est un seuil, un carrefour, une frontière physique et psychologique, une interface entre le dedans et le dehors. N’est-elle pas le "rideau du dedans" comme le souligne George Banu ? N’est-elle pas également celle du dehors ? Au-delà de ses valeurs narratives, symboliques ou encore métaphoriques, je m’intéresse aux interprétations que la porte peut engendrer, aux relations qu’elle lie et/ou délie avec les personnes qui la manipulent ; qui l’ouvrent et/ou qui la ferment, qui se cachent et qui se protègent derrière elle.

Les deux portes réalisées pour l'installation catalysent le flux discontinu d'aller et/ou venir d’un espace à un autre, entre le dedans et le dehors. J’ai exploré la symbolique subjective de la porte entrouverte laissant imaginer son devenir. Va t-elle s'ouvrir d'avantage ou bien se refermer ? La subjective boucle circulatoire illustrée devient alors incertaine et instable. J'exploite la porte comme vecteur entre deux réalités parallèles, celle du privé et celle du public. J’interroge ainsi ce qui sépare le privé et le public, le caché et le visible.

Par ailleurs, je me suis intéressé au leitmotiv de la porte, l'action binaire d'entrer dans un espace ou bien d'en sortir. Franchir le seuil, cette frontière immatérielle entre l’intérieur et l’extérieur. Toutefois, qu'advient-il lorsque nous restons sur le bas de la porte ? Cet entre-deux, ce périmètre transitoire, ce non-lieu intermédiaire dont les limites psycholgogiques sont à la fois floues, perméables et opaques. Un espace ni dedans, ni dehors. En marge.

Je porte également un regard sur l'action de franchir une frontière liminale dont les interprétations multiples (circulations, transitions, altérités, rites, configurations spatiales, normes sociales et psychologiques,...) atténuent la dimension narrative au profit d’une lecture subjective et plurielle.

 

le dispositif sonore qui accompagne l'installation est une composante essentielle de la pièce. L'une et l'autre sont complémentaires et indissociables. Cette création sonore est le fruit d'une déambulation pédestre et urbaine sur le territoire francilien. Une expérience d'imprégnation sensible en somme. Partant d'un point A (Aubervilliers en Seine-Saint-Denis) vers un point B (Paris) et sans discontinuité, j'ai intégralement enregistré ma déambulation entre ces deux villes dont la "Porte" de la Villette érrige une frontière symbolique, sociale entre ces deux territoires. Elle distingue géographiquement et psychologiquement ces deux espaces urbains limitrophes et en affirme ainsi le point de rupture liminaire. Ce dispositf sonore matérialise des atmosphères et des sonorités urbaines dont les identités timbales ou rythmiques se définissent et se différencient au gré de la déambulation et de ses multiples générateurs (conversations, bruits de la circulation, bruits d'animaux, sonorités atmosphériques).

 

Cette installation a été réalisée dans le cadre d'une résidence de création de quatre semaines à "La Résidence" qui recoit le soutien de l'Association As’Art en Bout de Ville, la DRAC Auvergne, l'Inspection Académique de l’Allier, le Rectorat de Clermont-Ferrand et le Conseil Départemental de l’Allier.


THESAURI

Vingt notices d'inventaire reliées (photographie, texte, dispositif sonore via QR code)
21 x 29,7 cm
2017

Que les objets soient issus de la fabrication artisanale, de la production sérielle ou encore du handmade. Qu’ils soient transitionnels, fétiches, ou alors nés d’un (néo)besoin. Qu’ils soient (r)achetés, hérités, donnés, trouvés, récupérés, recyclés,... Qu’ils soient anodins pour certain.es, précieux pour d’autres. Les objets participent à la construction intime et sociale de l’individu.  D’ailleurs, nous entretenons des relations parfois complexes avec certains objets et avec lesquels nous tissons des liens affectifs souvent très forts, riches en souvenirs et en émotions.

 

Alors que l’Internet des Objets ou IoT (Internet of Things) s’introduit progressivement dans l’espace public comme dans l’espace privé et s’invite dans notre quotidien, quel est le devenir des objets tangibles considérés désormais comme désuets ? Ces anciens compagnons de vie dont nous nous débarrassons doivent-ils rejoindre les collections d’une archéologie du présent ?

 

A l’instar de la base Palissy dont l’objectif est de recenser le patrimoine mobilier français, vingt objets déposés dans la boite à dons du Kiosque Citoyen Paris 12 ont été recensés et inventoriés sous la forme de notices d'inventaire.

 

Passant de la sphère privée à la sphère publique, les vingt objets inventoriés dialoguent et mettent en scène un jeu de contrastes transitoires.

 

A l’image d’un cabinet de curiosités, l’hétérogénéité des objets présentés invite au dialogue, à la découverte, au voyage, à la curiosité, à l’incongrue, au bizarre, à l’esthétique, à l’insolite,… A un "résumé du monde" en somme selon les mots de l’historien Gilles Thibault.

 

 

 


FRONTIÈRE

"Le fini dans lequel nous nous sommes installés est en quelque endroit toujours attenant à l'infini de l'être physique et métaphysique. La porte devient alors l'image du projet-frontière où l'homme, en permanence, se tient ou peut se tenir. L'unité finie, par laquelle nous avons relié à soi un morceau désigné pour nous de l'espace infini, nous relie à son tour à ce dernier : en elle, la limite jouxte l'illimité, non à travers la géométrie morte d'une cloison strictement isolante, mais à travers la possibilité offerte d'un échange durable."

 

Georg Simmel, Pont et porte, 1909


L'INSURRECTION PAR LES SIGNES* 

Monotype à l'encre taille-douce sur papier

30 x 42 cm

2023

 

Jumelage - Résidence d'artiste 2022-2023

Cherbourg (Normandie)

A l'instar des "Graffiti" que l'artiste Brassai photographiait sur les murs parisiens, des années 1930 jusqu'à la fin de sa vie, je me suis intéressé aux traces, aux signes, aux dessins, aux mots, aux symboles, aux messages que des individus anonymes ont laissé sur les façades et les murs d'un espace habité. En l'occurrence, celui de la ville de Cherbourg en Normandie. Pour le philosophe Jean Beaudrillard, "Les graffiti sont de l’ordre du territoire. Ils territorialisent l’espace urbain décodé […]".

 

* Jean Beaudrillard, Kool killer ou l’insurrection par les signes, 1976


TOUT EN NUANCES

Tirage photographique sur panneau Forex

80 x 120 cm
2023

 

Jumelage - Résidence d'artiste 2022-2023

Cherbourg (Normandie)


MACHINE A HABITER

Impression jet d'encre sur panneau alvéolaire aquilux 3,5 mm (600g)

80 x 120 cm

Série débutée en 2021  

Selon les mots de Le Corbusier, "Une maison est une machine à habiter" mais "habiter est un art" comme le souligne Ivan Illitch.

 

Le philosophe revendique ainsi "une liberté d'habiter". En revanche, lors d'une conférence (L'art d'habiter, 1984), il affirme que "les humains n’habitent plus, ils sont logés, c’est-à-dire qu’ils vivent dans un environnement qui a été planifié, construit et équipé pour eux".

Avec cette série, je m'intéresse à la dimension technique, fonctionnelle, standardisée et reproductible d'une maison individuelle dans sa phase de construction. A ce stade, l'expérience humaine; celle de la présence, de l'existence, de l'usage et du quotidien est une perspective, une promesse dont l'aspect purement technique et utilitaire prévaut pour y parvenir.

Pas encore habitée, ni habitable, la maison individuelle en construction s'inscrit dans un espace liminal, en suspens entre un avant et un après, dans une zone floue qui semble s'affranchir du temps et de l'espace.

Dans une plus large mesure, en résonance avec des problématiques telles que l'expansion urbaine, le mitage, la disparition croissante de terres agricoles ou encore l'individuel sur le collectif, cette série me permet de porter un regard sur ces territoires mi-urbains, mi-ruraux, à la lisière entre les deux dont les contours eux-aussi demeurent flous et incertains.

 

Les photographies sont en noir et blanc afin de souligner la standardisation et la multiplication de certains modèles d'habitats en cours de construction. Par ailleurs, les photographies sont volontairement floues afin de matérialiser la dimension liminale de chaque construction en phase d'étape. Spatialement, ce sont des lieux vides qui s'inscrivent dans un temps suspendu. En outre, à l'instar du support et des dimensions d'un panneau permis de construire, chaque photographie est imprimée sur un panneau alvéolaire aquilux de 120 x 80 cm.


DE L'AUTRE CÔTÉ

Selon l'écrivain et psychanalyste Gérard Wajcman, "l'essence de la porte c'est le seuil, pour ce qui est de la fenêtre, c'est le cadre". A la lecture de son ouvrage intitulé "Fenêtre", l'auteur souligne que la fenêtre s'ouvre et se ferme sur le dedans comme sur le dehors. Plus précisément, que la fenêtre ouvre sur le dehors et ferme le dedans, ouvre sur le monde et enferme l'intimité. Selon lui, "l'intime se coud étroitement au dehors. La couture c'est la fenêtre." Dans le même esprit, Thierry Paquot indique dans son essai Un philosophe en ville que la fenêtre "donne à voir l'en-dehors en dissimulant le dedans".

 

La dimension architecturale et urbanistique de la fenêtre permet au dedans d'isoler le dehors et réciproquement de (re)nouer avec celui-ci. Avec la série "De l'autre côté", je m'intéresse à la dualité ouverture/fermeture de la fenêtre sur le dedans comme sur le dehors. Matisse définissait la fenêtre comme un "passage entre l'extérieur et l'intérieur". J'aime aussi l'idée que ce dialogue entre le dedans et le dehors puisse aussi être (inter)rompu. J'exploite donc la dimension perméable de la fenêtre qui offre ou non la possibilité de voir comme d'être vu. Le cadre de la fenêtre définit les limites du regard, celles imposées au regardeur comme au regardé, de l'intérieur vers l'extérieur ou inversement. Comme le souligne Gérard Wajcman, "L'homme peut potentiellement tout voir, sauf le caché. Le caché, ce n'est jamais que du visible potentiel." A ce propos, dans les Petits Poèmes en prose XXXV, Baudelaire indique que "celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de chose que celui qui regarde une fenêtre fermée". Au travers de la fenêtre se dessine le visible et se dissimule l'invisible.

 


BORNE

Estampe numérique (gravure taille-douce et numérisation)

Impression sur panneau Forex

80 x 120 cm

2020 

Espaces temporairement privatifs implantés au cœur d'espaces publics ouverts (gares, stations de métro, magasins, centres commerciaux,…), je m'intéresse à ces non lieux désincarnés dont le franchissement du seuil délimite une parenthèse symbolique entre l'intime et le public. Néanmoins, le rideau une fois tiré n'est que partiellement occultant. Il annihile ainsi la nette séparation entre le privé et le public, entre le visible et le caché. Se cristallise alors une rupture dans l'approche interprétative. Ni dedans, ni dehors, mais dans un entre-deux.

 

D'un point de vue graphique et plastique, cette série "Borne" est directement inspirée des procédés techniques des cabines photomatons argentiques en noir et blanc des années 60 remises au goût du jour au début des années 2000. Ainsi, dans un premier temps, je réalise une gravure en taille-douce sur une matrice dont le support est lisse et imperméable. Une fois la matrice encrée, elle est ensuite scannée. A l'instar des photomatons argentiques en noir et blanc, la reproduction de l'estampe produit des traces, des accidents, des imperfections ou encore des vignetages hasardeux, involontaires mais désirés.